Poudlard L'extérieur [En Cours] Les Orchidées Explosives

Sasha Shevchen , Serre n•2, le 27/09/2124

Lorsqu'il avait ouvert les yeux, le matin suivant, Sasha avait été assailli par les images troubles d'une nuit à demi-passée dans la forêt, non dans l'état tranquille qui était le sien habituellement lorsqu'il se transformait pour goûter un peu la liberté d'être animal, mais dans une course folle où il traînait sous lui une petite fille qui n'avait rien demandé mais avait chuté dans l'herbe noyée de brume.

Un moment, il tâcha de repousser ses souvenirs comme un mauvais rêve, mais quand sa conscience s'éveilla totalement, il fut forcé de constater que ce n'était guère le fruit de son imagination, mais quelque chose qui s'était réellement produit. Blyad, avait-il juré en sortant de son lit, sautant à toute vitesse dans un jean parce que les cours reprenaient ce matin et que les autres élèves n'avaient pas jugé bon de le réveiller : il était seul dans la chambre de son dortoir. Ses compagnons de chambrée ne le trahissaient pas pour ses absences nocturnes, mais ils n'en faisaient guère plus pour lui. Non sans d'abord passer ses mains dans ses cheveux pour les épousseter - histoire de les débarrasser sommairement de quelques traces de la forêt restée dans ses mèches - Sasha se mit à chercher frénétiquement de quoi se mettre quelque chose sur le dos. Ses pensées étaient tout aussi désorganisées que son sac plein de vêtements roulés en boule. Avec un pull et une chemise en moins. Avec la soeur d'Alison et sa promesse à tenir à la place. Avec ses yeux noyés de larmes et la paume de sa main sur le front.

 

Le geste avait été si doux qu'il en avait fermé les yeux, accroupi sur les marches. Il aurait voulu être léopard à ce moment-là : il savait qu'alors son état d'esprit aurait pu être suffisamment détaché de tous les tracas du monde pour être concentré sur l'instant. Mais il avait été parfaitement conscient, et peut-être suffisamment conscient pour avoir l'impression de ressentir encore la chaleur de la main de Charlie entre ses yeux, de longues heures de sommeil plus tard.

 

En-dehors de cette rencontre nocturne qui avait clos le week-end, Sasha avait passé la moitié de ces derniers jours à explorer le château et ses environs, curieux au fond de cet environnement nouveau ; et l'autre moitié à maugréer dans sa barbe qu'il avait sûrement pas peur des Russes, que les Russes il en faisait qu'une bouchée, même qu'il mettrait sur leur carcasse du coulis de framboise comme sur les côtes de porc qu'ils servaient à Poudlard pour leur croquer les os et les broyer entre ses dents comme de vulgaires rats des champs tombés entre les crocs d'un chat sauvage, et que s'il avait voulu il aurait déjà cassé les gueules de ceux qui se tapissaient bien au chaud autour d'elle.

Et autres joyeusetés de ce genre.

 

Il fallait donc au moins cette rencontre avec Charlie, son crapaud et la promesse qu'elle lui avait demandé pour qu'il cessât enfin d'en vouloir à Alison et de ruminer comme un bovin dépité de son sort.

 

Le matin, il put se présenter à temps avec les sixième années en cours de métamorphose, où il se débrouillait plutôt correctement - si tant était qu'on le laissait formuler ses sorts dans sa langue d'origine, ce à quoi rechignaient un peu certains professeurs. D’aucuns répétaient à Sasha que les formules latines étaient plus subtiles et plus puissantes. Sasha y mettait du sien en formulant ses versions slaves dans les variations les plus puissantes possibles, histoire de leur donner tort devant les autres élèves de la classe. Et ainsi, s'il y avait des Russes, qu'ils fussent tous bien informés qu'il les transformerait avec aisance en bûche de Noël si l'envie lui prenait. (Parce que, rappelons, il n'avait sûrement pas peur d'eux.)

 

Au déjeuner, Sasha n'avait pas cherché Alison, mais plus la journée passait, plus il sentait son estomac se rappeler à lui dans des contorsions étranges. Ce n'était pas vraiment lié à l'excitation de revoir sa fausse petite amie, non : il s'agissait d'encaisser ses récriminations. Car cette fois, il avait vraiment quelque chose à se reprocher. Si Charlie n'avait pas tenu sa promesse, elle se fâcherait parce qu'il avait emmené sa petite soeur promener plutôt que de la ramener au château, risquant littéralement sa vie. Aussi avait-il l'impression que la journée passait trop vite et que ce cours de botanique de l'après-midi courait vers lui sans qu'il pût y échapper. Par précaution, n'ayant aucune envie de risquer de nouveau une privation de repas pour les caprices, Sasha prit soin de dévorer tout ce qu'il pouvait avant de prendre la direction des serres. 

 

Dehors, le temps était exceptionnellement clément : un soleil radieux se montrait régulièrement entre deux colonnes de nuages qui soutenait un ciel frais mais engageant. Sur le chemin, il décida donc d'un plan ingénieux : il ferait comme si de rien n'était et avec un peu de chance, tout irait bien.

 

Lorsque Sasha se présenta à l'entrée des serres, la plupart des élèves étaient déjà là. Les cinquième année étaient rudement ponctuels, trouvait-il, tandis qu'il se présentait à l'entrée - les mains dans les poches de sa robe de sorcier et bien sûr, son noeud de cravate de travers.

La brochette bien évidemment était entièrement constituée, dans les premiers rangs de ceux qui attendaient de pouvoir entrer, lorsque la professeure leur ouvrirait la petite porte qui leur permettrait de se réfugier à l'intérieur. Sasha doubla la longue file, déclenchant sur son passage quelque silence, puis quelques murmures parmi les Serpentards. Evidemment, puisque leur dernière rencontre s'était soldée par l'envoi de l'un d'entre eux à l'infirmerie. Sasha ne se cacherait certainement pas pour cela. Il passa devant eux avec indifférence - sa seule intention étant de reprendre son poste aux côtés de la petite rousse qui lui servait de patte blanche à montrer aux professeurs. Sasha la rejoignit et, ignorant la brochette du mieux qu'il savait le faire, se pencha sur Alison. Lui colla un baiser un peu plus lent que celui de leur dernier cours, histoire de s'appliquer un peu même s'il avait le naturel d'un automate, puis il lui prit la main pour la mettre dans sa poche à lui, d'une manière un peu brusque, un peu autoritaire - le coeur battant à tout rompre, s'attendant à ce qu'à tout instant la jeune fille lui collât une gifle bien méritée. 

 

Mais rien de cela n'arrivât.

 

Une bouffée d'espoir l'inonda : Alison n'avait pas l'air au courant (ou alors elle cachait parfaitement son courroux), mister Brooks avait trouvé qu'ils avaient fait du bon travail. Encore une ou deux séances de Potions sur ce registre-là, puis la même chose en Botanique, et il pourrait bientôt demander à retourner être à plein temps avec les sixième année. (Pour la Divination, les cours n'avaient pas encore commencé, mais il suffirait de prouver à la première séance qu'il était un voyant de premier ordre, ce qu'il n'était pas, bien sûr, pour faire en sorte que le professeur de Divination approuvât qu'il fusse au plus vite auprès des 6ème année). Car quitte à perdre tant de mois à Poudlard, au moins qu'ils fussent les plus productifs possibles. Il avait davantage d'espoir d'apprendre des choses utiles à la guerre en sixième année qu'en cinquième. Par exemple, les sixième année travaillaient de vraies potions médicinales, comme la potion de régénération sanguine, et manipulaient des plantes dangereuses comme les Baies d'Epine Mortelle, avec lesquelles on pouvait fabriquer des pièges et de petites armes létales. Des sujets bien plus intéressants que...

 

- ... les magnifiques Orchidées Explosives ! claironnait la professeur, qui avait surgi avec une bonne humeur qui donna instantanément à Sasha l'envie d'aller dormir au soleil - alors il ferma les yeux. Ces magnifiques fleurs - je suis sûre que vous en avez déjà vu, on en décore la Grande Salle à Noël pour ceux qui voudront m'accompagner en décembre !

 

Quelques exclamations enthousiastes d'un petit duo de filles se firent entendre, vantant la beauté de ces fleurs multicolores et exotiques, qui hypnotisaient ceux qui en voyaient pour la première fois. Sasha se demanda juste si ces plantes mangeaient les mouches. (Auquel cas, ce serait pratique.)

 

- Pour l'instant, reprit la professeure, celles-ci sont à une étape de développement de leurs premiers boutons, que nous allons devoir faire grossir à l'aide d'un sort de chaleur dé-li-cat pour qu'elles puissent être prêtes exactement quand nous le souhaiterons. Il nous en faudra une première fournée pour Halloween, et nous garderons les fleurs les plus tardives pour les décorations de Noël. Evidemment, comme leur nom l'indique, tout le défi est de les faire grandir sans les brusquer. Sinon, elles explosent. Et que se passe-t-il si elles explosent ?

 

L'une des deux enthousiastes leva la main en se dandinant comme si elle avait très envie de faire pipi.
 

- Oui Jenny ?

- Les Orchidées Explosives rejettent des spores irritants dans un nuage coloré, et ces spores au contact de la peau créent des plaques irritantes !

- C'est exact. 2 points pour Serpentard pour ce bon travail de préparation. Les spores déclenchent une réaction d'allergomagie majeure, à laquelle la peau réagit en formant une couche d'écailles très urticantes et vertes qui mettent des jours à s'en aller. Bien sûr, nous pouvons concocter des baumes pour soulager l'inconfort, mais la tâche ne disparaît que par elle-même au bout de plusieurs semaines. Aussi, pour éviter qu'elle n'explose, vous allez devoir redoubler de douceur. Certains d'entre vous ont sûrement déjà vus leurs mères chanter des berceuses à leurs orchidées explosives quand elles font chauffer la cheminée, n'est-ce pas ? Hé bien c'est parce que les orchidées grandissent avec cette chaleur mais que trop d'un coup risque de déclencher l'explosion des boutons, alors il convient d'être apaisant avec eux. Aussi vous demanderai-je d'entrer dans le calme, histoire de ne pas commencer à les stresser inutilement. Vous êtes prêts ?
 

Au lieu d'une réponse uniforme, les élèves se lancèrent dans des discussions désordonnées, certains s'inquiétant de ce qu'ils pouvaient rater leur sort de chaleur tandis que d'autres inventaient déjà des versions égrillardes des chansons pour enfant qu'ils connaissaient.


 


Alison Carter , Serre n•2, le 27/09/2124

Alison déteste entendre sa petite sœur chouiner. Malheureusement, Charlie accumule les étourderies depuis quelques jours, accusant la fatigue d'être à la source de ses maladresses. Par exemple, elle a réussi à perdre non seulement son immonde crapaud, mais aussi une robe d'école entière, impossible à retrouver parmi ses affaires. Les sortilèges n'y font rien : Charlie geint et Alison râle, seule face aux problèmes de la benjamine, quand leur aînée, Freya Carter, est en déplacement chez des fournisseurs de matières premières. 

 

Mener de front son ascension vers l'élite des sorcières et l'éducation d'une pré-adolescente de 13 ans totalement dans la lune une moitié du temps épuise l'étudiante de 5ème année. Spike et Viviane n'aident pas. Perdue à son tour entre ce que les magazines conseillent de faire, ce qu'elle a réellement envie de faire, et ce qu'elle se voit faire sans réussir à doser, Alison se fout une pression considérable qui lui donne des boutons d'acné. Là, parmi les tâches de rousseur, elle choppe des petites points chauds et douloureux, qu'aucun sortilège ou onguent prometteurs n'anéantissent vraiment. Il y a de quoi rester enfermée aux cachots, ce qu'elle fait, ne sortant que pour les classes, et à peine pour manger.

 

Et de manière inattendue en ce début d'après-midi, entourée d'une brochette d'amies qui fixent sans délicatesse l'éruption de ses joues, Alison se surprend à attendre l'arrivée de Sasha avec une pointe d'impatience au fond de l'estomac. Peut-être que Charlie a fini par l'influencer à force de répéter qu'elle devrait juste apprendre à le connaître et s'en faire un vrai petit copain, plutôt qu'un ridicule faux petit ami. Peut-être que la rudesse de Spike rend même un réfugié grossier plus délicat ? Peut-être qu'Alison veut clouer le bec de Viviane et s'acharner dans son plan afin de prouver qu'il fonctionne, puis lui cracher dessus quand elle aura atteint des sommets ? Alison soupire, sa moue boudeuse bientôt camouflée derrière la grande silhouette du 6ème année qui l'embrasse et saisit ses doigts. Elle le regarde avec un mélange de surprise et d'entendement. 

 

Il n'a pas intérêt à être idiot cette fois. 

 

Au moins les Orchidées Explosives sont belles, et la jeune femme se plaît à vivre un quotidien esthétique, semblable aux photos des magazines. 

 

"celles-ci sont à une étape de développement de leurs premiers boutons"

— Ah bah comme toi Carter, murmure un élève derrière eux tandis que la professeure explique les consignes du jour. Au fond de la grande poche du Gryffondor, Alison comprime légèrement les phalanges rugueuses de Sasha pour lui passer l'envie de riposter. "sinon, elles explosent."

 

— Ah bah le couple parfait, ajoute encore le Serpentard, visiblement bien décidé à recevoir un coup de boule aujourd'hui. La cadette Carter fixe son "petit-ami" en niant du menton, espérant qu'il retienne les leçons de leur précédente classe. On ne règle pas ses comptes de la sorte chez les personnes éduquées. "une réaction d'allergomagie majeure, à laquelle la peau réagit"

 

— T'es allergique à la tige de ton mec Alison ? 

— T'es jaloux car personne veut te sucer Ryan ? répond la rousse du tac au tac, son visage dissimulé de l'enseignante par l'épaule de Sasha contre lequel elle se cache pour scruter l'élève avec sévérité. Elle sourit finalement, satisfaite de voir ses potes se moquer de lui, et prend la tête du cortège qui pénètre la serre n°2 en faisant claquer une bulle de chewing-gum contre ses lèvres. Shhht Miss Carter, pas de chewing-gum !

 

— Oui professeure, obéit sagement Alison en retirant le bonbon qu'elle colle sous leur plan de travail, au fond de la serre, avant d'observer l'Ukrainien. C'est probablement le pire voisin quand il s'agit de rester calme, mais bon, elle persiste. Détends-toi. L'étudiante ouvre sa robe, prend une inspiration, gonfle largement sa poitrine rehaussée d'un soutien-gorge gainant et colle ses pouces à ses index en signe de méditation. Inspire, expire, zen, ok ? Elle souffle lentement, une haleine sucrée de fraise envahissant l'espace entre eux. Puis la jeune femme rajuste sa frange en réfléchissant à la manière de procéder. 

 


Sasha Shevchen , Serre n•2, le 27/09/2124

Le cours n'avait pas encore commencé que Sasha avait rouvert les yeux, troublé dans sa recherche vaine d'un peu de quiétude au soleil à cause des discussions dont certaines subtilités lui échappaient. Enfin, pas au point de ne pas saisir les allusions qui le concernaient lui, ainsi qu'Alison et leur supposée activité sexuelle. Etrangement, il ne s'en sentait pas plus que cela offusqué : il avait juste rempli ses poumons d'air, gonflant la poitrine, histoire d'être prêt si Ryan franchissait la ligne invisible qui déclencherait son courroux, qui avait moins à voir avec le respect que l'on accordait à Alison qu'avec les allusions avec les Russes et les Ukrainiens qui, ce jour, n'avaient pas encore émergé dans les discussions. Sasha s'en félicitait : peut-être que Ryan et ses copains avaient compris qu'il valait mieux éviter ce terrain-là avec lui. C'était d'ailleurs sur cette réflexion que le Gryffondor avait sagement suivi Alison au fond de la classe pour rejoindre leur plan de travail - en dessous duquel Alison jugea bon de cacher une petite provision pour plus tard.

 

- Mais je suis caaal...

 

La fin du mot s'était évanoui au fond de sa gorge. Son envie de protester contre les suppositions d'Alison concernant son état intérieur avait fondu comme neige au soleil quand elle avait eu cette subite idée absurde d'ouvrir sa robe devant lui pour lui présenter sa poitrine. Il n'avait pas d'autre choix que de regarder, non ? Trop tard, de toute façon. Sasha ouvrit la bouche en haussant les sourcils, l'air de réfléchir deux minutes - mais il constata vite qu'il ne trouverait rien de pertinent dans son cerveau à cet instant et referma les lèvres aussitôt.

 

- Mmh.

 

Silence. Sasha fut pris d'un frisson et il s'ébroua brièvement.

 

- Ouais, tâcha-t-il d'approuver avec un air convaincu.

 

Il mima une grande inspiration, puis une grande expiration. Aussi incroyable que cela pût lui paraître, la stratégie fonctionna : Alison sembla satisfaite, et elle se plongea dans les directives que la professeure donnait pour qu'ils débutassent le travail. Sasha attendit derrière elle, hébété quelques secondes, avant de retrouver ses esprits.

 

- ... cinq plantes par groupe, à classer en fonction de la taille des bourgeons. Commencez par leur préparer un petit nid que vous chaufferez avec des galets tiédis à l'aide d'un petit Calidum ! claironnait-elle.

 

Il régnait dans l'air une petite odeur de fraise dont il ne savait plus si elle provenait d'Alison ou des fleurs, mais Sasha se concentra sur l'ordre implicite simple qui était donné : ramasser des galets. Alors il partit en quête des grands bacs où étaient stockés les galets en question. Déjà, quelques élèves se pressaient pour en ramasser quelques uns. Sasha empila les siens en tendant son pull devant lui.

 

- Hé Sasha, t'as cru qu'il fallait construire un barrage ou quoi ?

 

Des élèves pouffèrent de rire, faisant redescendre Sasha du nuage où il s'était drôlement perdu dans ses pensées.

 

- Quoi ?

- Ben laisses-en pour les autres, hé !

 

Il baissa les yeux sur son pull et constata qu'effectivement il l'avait tant rempli que celui-ci formait un gros sac lourd et rempli. Il haussa les épaules en décidant de les emporter quand même, le bout de sa cravate enfouie dans les pierres disparaissant dans son chargement.

 

- Arrête il va les revendre au marché de Pré-au-Lard le pauvre ! entendit-il dans son dos, et les ricanements reprirent.

 

Sasha sentit revenir sa haine pour le groupe de Serpentard, mais il s'efforça de serrer les dents pour revenir à pas lourd vers leur plan de travail. Il versa les galets qui s'empilèrent brusquement dans un coin, non loin des trois premières orchidées qu'Alison avait choisie. De petites étiquettes plantées dans leur pot indiquait les couleurs prédites pour les fleurs et le garçon avait bien évidemment pris le soin de laisser Alison se charger de tels détails esthétiques. Son pull accusait désormais une légère déformation, mais il avait l'air de n'avoir rien remarqué.

 

- Ils m'énervent, il dit subitement. J'suis plus trop calme.

 

Bon, il se maîtrisait quand même. Mais un peu d'aide ne faisait jamais de mal, non ?


Alison Carter , Serre n•2, le 27/09/2124

L'expression bête de Sasha rassure étrangement Alison. Après tout, aussi balourd soit-il, ça reste un homme, non ? Et s'il réagit à ses formes, c'est qu'elle peut souffler ; même avec des boutons, elle continue de leur faire de l'effet. Parce qu'après avoir trouvé la chasteté de l'Ukrainien confortable, la rousse avait commencé à la trouver angoissante - et s'il voyait vraiment une autre fille comme le prétend Viviane ? Pire, s'il la trouvait repoussante ?

 

Sur l'échelle des coups intéressants, Alison se place objectivement en numéro 7. Bientôt 8 car les garçons la verront en tant que femme quand elle aura 16 ans. Sasha frôle le 6 alors ce serait honteux qu'il n'ait aucune attirance pour elle, comprenez ? Il pourrait valider sa place en numéro 6 avec un effort vestimentaire, pense l'étudiante en regardant son voisin s'éloigner dans un tourbillon de tissus mal organisés. D'une formule, elle attache ses cheveux en queue haute, puis rajuste sa frange avant d'enfiler la blouse de botanique beige au lieu de sa robe de sorcellerie. Bon.

 

Premièrement, choisir cinq boutures. Face aux étagères croulantes de plantes, l'élève retrouve quelques amies venues sélectionner leurs couleurs d'orchidées. Sur chaque pot, une petite étiquette indique la teinte que prendra la fleur après éclosion.

 

— "Honey", oh ça doit être joli ça, honey. 

— J'préfère quand tu m'appelles "chérie".
— Ahah, t'es con ! Hé, Alison, il t'appelle comment Sasha ?

— Mh, j'parie qu'il lui donne pas de surnom ! Il a pas une tête du genre de mec qui donne des surnoms.

— Bah si enfin, il m'en donne plein. Ça change tout le temps.

— Wah il est vraiment dingue de toi.
— Grave.
— Ça vous étonne ?! Duh. 

 

D'un geste vif, elle se tourne pour rapporter déjà trois boutures jusqu'à leur plan de travail, la tête bouillonnante. Nan mais sérieux ? Sasha arrive juste après, le pull chargé de galets qu'il déverse non loin des premiers pots installés par la sorcière. 

 

— Moi aussi ils m'énervent. Ses tâches de rousseur croisent le regard vert du Slave qui réclame de l'aide pour garder son calme et Alison ne peut retenir un sourire face à son visage faussement consterné. Elle remarque aussi l'accoutrement désorganisé du Gryffondor et lève les prunelles au plafond en soufflant discrètement. Fais un effort sinon ils vont jamais y croire. Genre, elle laisserait son copain avoir une telle dégaine ? No way. Alors la 5ème année entreprend de rhabiller Sasha entre deux passages de l'enseignante, depuis la cravate jusqu'au bas de son pull, quand les garçons qui voient la scène recommencent à se moquer de lui. 

 

— C'est trop sa daronne en fait.

— Quel plouc !

 

Soûlée, Alison les fixe et improvise un geste pour sauver la mise. Sa main droite glisse, et glisse plus bas encore, sous la limite du plan de travail et devant l’œil ahuri des perturbateurs. Sa main gauche fait tomber un galet. Oup's. Elle surveille la professeure, regarde Sasha, puis s'accroupit.

 

En face, les adolescents penchent carrément leurs têtes médusées et se font vite capter par l'enseignante qui fonce vers eux pour s'assurer qu'ils suivent la procédure. Alison ricane en entendant la femme les engueuler. Elle ramasse le galet, se redresse, rajuste sa frange et évente ses pommettes écarlates en évitant soigneusement les yeux du 6ème année. T'es détendu maintenant j'espère.

 

Encore surprise par la chaleur qui se dégageait du pantalon de Sasha, la jeune femme brasse de l'air pendant quelques secondes, bougeant les galets ici et là avant de reformer une ligne correcte avec les pots d'orchidées. Il fallait faire quoi ? Elle ne sait plus. Ah oui, des nids. Ses phalanges délicates déplacent encore les cailloux tandis qu'elle aperçoit l'étiquette "Honey" plantée dans la terre d'une bouture. 

 

— Tu pourrais m'donner un surnom. Bab', Love, un truc Ukrainien si tu veux, ça s'fait. 


Sasha Shevchen , Serre n•2, le 27/09/2124

- Croire à quoi ? il avait demandé bêtement.

 

Sasha avait baissé les yeux sur le jeu de mains rapide d'Alison qui arrangeait sa cravate, un peu déçu de ne pas avoir droit à une nouvelle séance de respiration guidée. Evidemment, les yeux et les commentaires des autres Serpentards les accompagnaient dans chacun de leurs mouvements. Sasha ne s'expliquait pas la fascination que le groupe de 5ème années avait pour le couple fallacieux qu'ils formaient, Alison et lui. S'il s'était dit les premiers jours que ce n'était qu'un jeu d'adolescents curieux des intrigues amoureuses - à défaut d'avoir plus intéressant avec quoi s'occuper - désormais plus le temps passait, et plus il avait l'impression que l'attention qu'on leur portait devenait une obsession. Un peu comme quand les copains et lui avaient vu Dmitri manger un escargot à l'école quand il était petit : de camarade un peu bizarre, il était vite devenu le bouc émissaire de la classe et les efforts de tous les autres élèves pour l'humilier histoire d'être en haut de la hiérarchie sociale. Ces drôles de souvenirs lui semblaient émerger d'un autre monde, d'une autre vie ancienne et partiellement oubliée. Toujours était-il que l'attention croissante des Serpentards envers leur binôme l'inquiétait plus qu'il ne voulait l'admettre.

 

Alors, quand Alison soudain frôla son pantalon de sa main avant de s'accroupir jusqu'à disparaître sous leur plan de travail, Sasha sentit soudain son corps s'engourdir d'une paralysie étrange. Ses yeux s'arrondirent et il eut l'air tout aussi étonné que ceux qui les regardaient. Certes il fallait donner le change : il lui traversa l'esprit qu'il pouvait sourire histoire de crâner, mais ça n'aurait certainement pas l'air naturel dans l'état où il était. Alors il serra les dents en renvoyant des regards courroucés, priant pour qu'Alison se relevât le plus vite possible. Heureusement, l'arrivée de la professeure détourna l'attention et il se sentit soulagé quand la rousse réapparut à ses côté. Pendant qu'elle déplaçait ici et là des galets, lui se chargea de lui en faire passer d'autres, non sans sentir une tension confuse dans tout son corps. Il déglutit.

 

- Des p'tits noms, c'est vraiment ça qui compte pour toi là maintenant ?

 

Il avait grondé à voix basse, les mâchoires serrées et les sourcils froncés, tout en jetant des regards autour d'eux, dissuasifs, à l'attention de quiconque s'intéressait à leur conversation. Les odeurs des orchidées, même encore au stade de boutons, diffusaient des odeurs douces et florales, dont s'enchantaient les filles du premier rang avec force d'exclamations joviales. Sasha profitait du brouhaha général pour poursuivre, jetant ses mots en direction de l'épaule d'Alison, qu'il surplombait.

 

- Tu nous fais trop remarquer, poursuivit-il d'un ton péremptoire.

 

Non, il n'était pas détendu du tout.

Il ne voyait pas le visage de la jeune femme, mais seulement ses cheveux qui dansaient à quelques centimètres de lui tandis qu'elle composait un premier nid, formant un cercle avec des pierres autour de la plante à l'étiquette Honey. La rousseur lumineuse et l'odeur d'un shampooing féminin lui parurent familières. Charlie piquait-elle parfois les cosmétiques d'Alison ?

 

- Qu'est-ce qu'il dirait ton père s'il te voyait, hein, bougonna-t-il, espérant faire mouche, cette fois.

 

Sûrement qu'il dirait qu'elle ne devait pas traîner avec des animaux de son espèce, en premier lieu. Mais ce n'était pas lui qui forçait Alison à avoir un tel comportement. Et en l'absence du père en question, n'était-ce pas lui qui devait la rappeler à l'ordre ?

Il soupira, un instant soulagé de sentir la tension qui s'évaporait de son corps, le laissant plus à même de lui aussi construire un second nid à côté du premier, qui ressembla vite à une forteresse. La professeure était passée devant eux, posant les yeux sur leurs premières réalisations. Au soulagement de Sasha, elle ne trouva pour le moment rien à redire à leurs premiers gestes et elle s'éloigna. Le Gryffondor put reprendre ses messes basses.

 

- Au fait, souffla-t-il. J'vais avoir besoin d'un petit service.

 

Il croisa le regard irrité d'Alison. Pas favorable.

 

- Enfin pas vraiment un service. C'est juste ; si quelqu'un te demande, un professeur ou quoi. Tu peux dire que je viens te voir la nuit des fois ?

 

Il tâcha d'avoir l'air neutre. D'avoir une voix parfaitement innocente. Ce n'était qu'une formalité. Ou, enfin, elle devrait le croire.